mardi, juin 22, 2004

En lisant Marcel Gauchet 2

Jésus ne délivre pas de message impératif et univoque, il n'expose pas une foi en article; il s'exprime par paraboles; il prêche par l'exemple. Il EST la vérité, mais il ne dit pas directement ce qu'on doit croire en fait de vérité. La conséquence en est l'obligation d'une organisation de spécialistes qui assurera une interprétation correct des textes pour le croyant. En ce sens l'Eglise est la médiatrice obligé entre Dieu et les hommes, et se retrouve doté d'un pouvoir spirituel. A l'inverse du Judaisme, où le travail d'interprétation est essentiellement Juridique (Loi mosaique), et ou il est inconcevable que les prétres révéle au croyant la véritable signification de la parole de Dieu. Marcel Gauchet fait remarquer que l'Eglise est toujours resté distincte de l'Etat. Cette anomalie historique serait dû au dogme de l'Incarnation qui, parce ce qu'il rend Dieu infiniment éloigné, pose un probléme au Pouvoir politique de l'Empire. En effet un Empire voit dans ses réussites et son pouvoir la présence terrestre du surnaturel. Par ailleur l'Eglise ne peut se substituer à l'Etat, et prendre le pouvoir politique, du fait de sa vocation. Car détenant le pouvoir politique, elle perdrait du même coup sa position de médiatrice entre la sphére autonome des hommes et Dieu.

Autour de l'an mille, une mutation métaphysique à lieu. Il se résume dans le passage de l'Un ontologique à la dualité ontologique. Tout discours religieux partage la réalité entre le monde visible et le monde invisible. Le probléme est leur relation respective. Avec l'Un ontologique, le visible et l'invisible sont en fait le même monde. Avec la dualité ontologique les deux monde sont définitivement séparés. L'Un ontologique est la condition de l'hétéronomie, c'est à dire de la subordination de l'ordre temporel à l'ordre divin qui le domine par sa loi. Ce qui à pour conséquence que les hommes sont unis socialement trés fortement. C'est, dans sa forme pure, ce qu'on retrouve chez les tribus primitives. C'est aussi la forme religieuse dominante de l'humanité sur sa plus longue durée.Le miracle de l'histoire chrétienne occidentale et d'être parvenu à s'en extirper (..)

La pureté de l'Un commence à être entamée lors de la constitution des Etats, car ils s'imposent comme foyer de pouvoir concurent du divin. Pourtant l'Un est rétablit lorsque les Empires prétendent être l'une des manifestation du pouvoir divin. Ce qui à pour conséquence de bloquer l'apparition endogéne du monothéisme. Monothéisme qui est la clef de la rupture avec l'Un, mais que le Judaisme retaure pourtant, via l'Alliance et les lois mosaiques et l'intervention permanente de Dieu dans les affaires terrestres. L'incarnation, parce qu'elle prouve l'infinie éloignement de Dieu, dont l'Eglise est l'attestation via son rôle, autorise en puissance à penser la dualité ontologique. Pourtant l'Un survi pendant prés d'un millénaire en occident, jusqu'à l'an mille où il y a une rupture.

L'origine de cette rupture n'est pas claire. Economique ? Sociale ? Culturel ? Les historiens en débatent encore. Toujours est-il que ce bas monde devient un horizon par lui même et qu'on observe une rupture avec l'antique sagesse : il n'y a lieu de travailler que pour subsister. Marcel Gauchet pense que le passage à la dualité serait dans son essence religieux et chrétien. Seul le christianisme pouvait permetre le passage de l'Un à la Dualité ontologique. Au reste, ce n'est pas qu'une question de foi personnel. C'est "l'organisation collective qui se pénétre du christianisme, plus que les consciences qui la peuple, même si celles-ci n'y restent pas indifférentes. (..) notre monde, tout post chrétien qu'il est reste encore profondément pénétré des significations chrétiennes dans ses structures et ses horizons pratiques". Autour de cette réforme s'invente "le philosophéme source où va se puiser la modernité : la toute puissance de Dieu. Idée dont on a tiré les conséquences les plus inattendues parfois, mais les plus révolutionnaires, de l'an mil jusqu'à nous."

On comprend déja que le Socialisme et le Fachisme vont être une tentative aussi sanguinaire qu'utopique de rétablir l'Un.
Que cette tentative soit réactionnaire ne doit pas étonner. Marx se scandalisait déja que l'ouvrier ne garde pas pour lui les objets produits par son travail et les échanges contre d'autres. De l'autarcie, à l'Un, c'est la "même farine".


Mais revenons à nos moutons. Au XVI siecle éclate les guerres de religions. Paradoxalement, elles vont dégager la voie vers la toute puissance des Etats. En effet, une société en conflit exige un arbitre, qui s'il ne se prononce pas sur le contenue de la foi, intervient dans les conséquences de cette derniére pour la paix civile. C'est l'apparition de la monarchie de droit divin. Car la crise protestante délégitime le rôle médiateur des églises. Personne ne peut plus parler au nom de Dieu, c'est la premiere étape vers la sortie de la religion. Mais le Souverain, de par sa position et ses devoirs sociaux peut, lui, représenter Dieu. Représentation étrange, car le Roi est la représentation de l'absence de Dieu. Son pouvoir ne lui vient pas de Dieu. C'est son pouvoir qui, étant le plus puissant dans la société, lui permettant d'exercer l'équivalent terrestre de la puissance divine, fait de lui un Roi de Droit divin. C'est aussi la naissance de la raison d'Etat, et de sa méfiance vis à vis de la religion. Marcel Gauchet fait d'ailleurs remarquer qu'il n'y a jamais eu en France de parti politique Catholique. Ceci explique cela.

Cependant, cette construction politique est fragile, et l'oblige à inventer un droit nouveau qui va compléter sa légitimité, "par le bas" comme dit Gauchet.
C'est la naissance du Droit naturel et du contrat social.



A suivre, la Révolution.


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