dimanche, mai 22, 2005

Comme c'est triste..

Au PS, les «camarades» ne se font plus de cadeaux

Nicolas Barotte et Myriam Lévy
[21 mai 2005]

Ecartelé entre le oui et le non, le Parti socialiste est dans tous ses états. A tous les niveaux, du parlementaire au militant de base, la division du parti entre partisans et adversaires de la Constitution européenne est vécue comme une véritable déchirure, qui brise des amitiés parfois trentenaires. «Au sommet, on ne se parle plus. A Solferino comme dans le gang du non, on ne se rend pas compte de l'état de la base. C'est épouvantable», constate un élu parisien, qui redoute, après le 29 mai, une hémorragie de militants dégoûtés. Dans les départements où le secrétaire fédéral défend le non, les partisans du oui se font discrets. Et vice-versa. Chacun s'épie, cherche la phrase blessante dans le camp opposé, et réplique au quart de tour. Le président de la Région Bourgogne, François Patriat, partisan du oui, s'étonne que, le 10 mai, le député de Château-Chinon, Christian Paul, partisan du non, ait rendu un hommage public à François Mitterrand. «C'est bien la première fois depuis qu'il est élu», lance-t-il, furieux.


Le site Oui de gauche, lancé par le porte-parole du PS Julien Dray, tape sans retenue sur Laurent Fabius. «En acceptant de se rendre jeudi dernier au dîner-débat de l'Académie du gaullisme comme invité d'honneur, il a fait de Jean-Pierre Chevènement un «petit joueur» en matière de collusion avec le souverainisme de droite», lit-on en première page. Le site frère ennemi, Non socialiste, n'est pas en reste. Au moment où Hollande propose de lancer, dès l'adoption de la Constitution, une pétition à la Commission européenne pour obtenir une loi sur les services publics, il lance un nouveau slogan : «Droit de pétition, piège à moutons.» A Toulouse, la semaine dernière, Jean-Luc Mélenchon n'y est pas allé par quatre chemins : «Vous tenez le balai : à 50%, c'est le texte de la Constitution qui part à la poubelle, à 55% celui qui l'a signé, à 60% tous ceux qui l'ont soutenue.» Une phrase particulièrement appréciée à la direction du PS.


Dans un parti où tout le monde est camarade, il faut désormais savoir que l'on n'a pas que des amis. Un dirigeant du PS a développé une méthode qu'il dit «imparable». «Pour savoir s'il y a des partisans du non dans une salle, je glisse dans mon discours un argument choc : je dis que ceux qui votent non votent comme Le Pen. C'est automatique : ils se lèvent tous pour protester. Comme ça, je sais à qui j'ai affaire.» Les partisans du oui, qui pensaient avoir remporté la partie après le référendum interne, sont ulcérés d'être accusés de ne pas être de gauche parce qu'ils votent comme le gouvernement. Et supportent mal de voir des militants d'extrême gauche coller des affiches du «non socialiste».


Au sommet, le secrétariat national continue de se réunir rue de Solferino tous les mardis. Partisans du oui et du non s'y côtoient. François Hollande et Laurent Fabius se disent à peine bonjour. Mais cette instance n'est plus qu'un théâtre d'ombres : les décisions se prennent désormais lors de la réunion du comité de campagne du oui, ou, mieux encore, de manière informelle, dans le bureau de Hollande. Martine Aubry est l'une des plus virulentes à l'égard de Laurent Fabius, auquel elle jure qu'elle n'adressera «plus jamais la parole». Jack Lang, qui fut proche de l'ancien premier ministre, fait part aujourd'hui de sa «tristesse» : «Ça dépasse l'entendement.» Celui qui fut l'un des plus virulents pour dénoncer les propos de Fabius sur les Polonais lâche : «La politique, ça ne se fait pas au niveau du trottoir.»


Sur les marchés, les partisans du oui disputent leur coin de rue à ceux du non, comme des marchands de muguet un 1er mai. Des deux côtés, on affirme, sans trop y croire, que le moment venu tout le monde saura se retrouver pour l'intérêt du parti. Mais des combats aussi acharnés laissent toujours des traces.